A mon retour

     Je suis bel et bien rentré la veille de la reprise des cours. J’étais même agréablement surpris que l’aéroport dans lequel j’atterrissais se situait à seulement quelques kilomètres de l’internat. Je me souviens qu’en revenant en France, à l’aéroport notamment, je continuais à m’exprimer dans mon piètre niveau d’anglais. Outre les difficultés que j’ai eu à sortir de cet aéroport, et après m’être localisé dans Paris, j’avais le sourire de rentrer car j’avais relevé ce défi avec succès et sans réelles difficultés.

     Bien plus que les idées que nous pouvons nous faire du mot « Liberté », j’avais réellement la certitude d’avoir pleinement vécu ce mot. Autrement dit, il ne s’agissait plus de cette idée rattachée à un idéal, désormais trop réducteur, mais davantage à un profond et puissant sentiment de totale indépendance collé à l’esprit et qui, à la fois, battait continuellement dans mon cœur. Je n’avais sur cette route aucun compte à rendre à personne ni à aucune institution dont nous sommes tous ficeler et dépendant. Rien ne pouvait m'arrêter ni me rattraper, je devenais aussi insaisissable et libre que le vent. Je me suffisais à moi-même en ayant, sous chacune des roues, le pouvoir ou la liberté d’imposer à la Terre la rotation qu’il m’enchantait de lui donner. Chaque nouveau paysage devenait unique à mes yeux et le sourire porté à chaque nouvelle étendue se renouvelait continuellement car, à chaque coucher de soleil, la ligne d’horizon reste silencieuse et infranchissable. L’horizon me garantissait de nouveaux paysages, de nouvelles rencontres, de nouvelles opportunités et cela aussi assurément que le jour se lèverait au lendemain.

     J’écris cet article presque un an et demi après cette première expérience mais je me souviens, lorsque je m’y préparais, avoir été dans le désir de traverser un maximum de pays pour y visiter un maximum de capitales. Un peu pour dire que « J’y suis allé ». Après, j’ai bien sûr été émerveillé par tous ces monuments autour desquelles nous identifions ces capitales mais pourtant, sur la fin, je me souviens que la nature me présentait des monuments panoramiques bien plus majestueux. Je pense particulièrement au relief montagneux que se partagent la Macédoine et la Grèce. Là-bas, j’y ai contemplé d’imposantes puissances naturelles qui, sans difficulté, se calquaient parfaitement à l’émotion dans laquelle je progressais. Ces montagnes se confondaient dans de véritables symboles de liberté. Dans de pareils paysages, sur un simple vélo, on se sent si petit, si vulnérable et pourtant si décidé à les parcourir et les dépasser.

     Et puis il y avait ces rencontres... La prise de contact débutait généralement à la suite d’un renseignement dont j’avais besoin ou par la curiosité des gens une fois m’avoir aperçu voyager ainsi. Quelques fois, et surtout sans même le demander, les gens revenaient et me souriaient d’avoir à m’offrir quelque chose à manger. Cette générosité me touchait et m’accompagnait sur plusieurs kilomètres. Je retiens que le temps accordé à de pareilles rencontres avoisine celui d’un battement de cil mais pour autant le sentiment qu’elles vous laissent ne s'oublie pas. En deux mots, d’intenses instants.

     Pour vous partager quelques uns de ces instants, je me souviens avoir senti mes mollets s'alimenter d'une énergie nouvelle après avoir été doublé par ce cycliste en tenue qui, tête baissée, m’encourage d’un pouce levé.
     Je n’oublie pas non plus cette famille grecque réunie dans leur jardin qui, généreusement, me tend un sac dont on me dit y  trouver un peu de quoi manger. Le soir, lorsque je l’ai ouvert, la surprise était d’y trouver un véritable festin.
     Il y a également cette femme qui tient une épicerie sur le lacet d’une montagne et me demande d’attendre un moment ; le temps pour elle d’aller me chercher une demi-pastèque. Un délice par cette chaleur. Juste à côté un commerçant discute à une table et m’invite à découvrir un vin blanc du pays. Il se montra également d'une rare hospitalité quand il me proposa un toit pour la nuit.
     Je n’oublie pas non plus avoir été qualifié de « crazy » par ce patron de restaurant mais qui, malgré tout, m’offrira une pâtisserie et de quoi me désaltérer.
     Une autre rencontre, en macédoine. Je m’éloigne de certains quartiers pour me perdre dans la pauvreté d'une banlieue. Ici, les routes restent praticables mais en mauvaises états. J'oublie le goudron sur lequel j’avais l’habitude de me déplacer aussi rapidement. La plupart des maisons longeant ces ruelles sont des cabanes. Instinctivement, j’ai le surprenant sentiment que posséder un vélo pourrait être perçu comme une marque de richesse. Je finis par m’arrêter dans un magasin pour me réapprovisionner. Le supermarché présente une curieuse architecture car très proche d’un lieu de culte. J'arrive à la caisse. Seulement, au moment de payer, je m’aperçois que le jeune caissier ne me rend pas la totalité de la monnaie. Mais après avoir vu la misère et la difficulté dans laquelle tous ces hommes doivent quotidiennement s’adapter, vivre et peut-être y survivre, je n’ai pas franchement le cœur à réclamer mon dû. Le jeune homme engage néanmoins la conversation et malgré tous les préjugés qu’il a préalablement pu me porter, au moment où je m'apprêtais à partir, il me retient un instant et demande à l’un de ces collègues d’aller me remettre une boite de gâteau... Comme quoi.
     Enfin, je terminerai par cet enfant âgé d’une huitaine d’année qui, à la sortie d’un magasin, aidait les gens à ranger leurs achats dans leur voiture ainsi qu'à rammener leur caddy en échange d'une pièce ou deux. Me voyant sans doute poussiéreux, l'enfant me propose d’aller m’acheter à manger avec le peu d’argent qu’il avait "gagné". Je prends une claque.



     Après seulement 37 jours de vagabondage, je peux dire que j’ai apprécié la vie comme rarement auparavant. Je vivais un peu dans l’insouciance et chaque jour de nouvelles expériences s’offrait à moi. Mettre mon hardiesse à l’épreuve conduisait à l’autoalimenter si bien qu’aujourd’hui j’affirme qu’il est véritablement question du mental plus que d’une musculature d'athlète. Pourtant l'importance du mental dans l'effort physique nous est plus inconnu mais pourtant, là, l’ayant véritablement vécu, j’affirme qu’il suffit à lui seul à réaliser un challenge similaire à celui-ci.



     Après, sans être non plus un voyageur de grand chemin, la vie en pleine nature vous expose à la vie sauvage et donc au danger. Le danger consiste selon moi à se retrouver au mauvais moment, au mauvais endroit et, surtout, en mauvaise compagnie. Naturellement méfiant et distant lorsque je m’adresse à un inconnu, il est possible que cette attitude m’ait évité des ennuis. Je ne le saurai jamais. Je n'appréhende pas en particulier les dangers climatiques, la faune ou les risques infectieux liés à une alimentation douteuse car différentes mesures préventives existent tandis qu’il est bien plus difficile de percer les motivations d’un homme et bien plus encore celles venant d’un individu qui, réciproquement, est un étranger. Je parle évidemment du risque d’être blessé ou d'être volé. Impossible pour moi de voyager sans y penser et notamment la nuit où l’on devient totalement vulnérable car une fois endormi tout peut arriver.
     Pour l’anecdote, je n’ais été perturbé dans mon sommeil qu’une fois. C’était en Serbie.  Deux hommes se sont approchés de moi alors que je m’endormais confortablement installé dans mon duvet. Ma tête reposait sur mon sac à dos et, comme chaque nuit, la totalité de mes objets de valeur dormait avec moi dans le fond du duvet. Brutalement, je me réveille par le bruit de leurs pas. L’un d’eux me parle dans sa langue et cherche à capter mon attention. J'avais pourtant remarqué que l’autre, en retrait, tentait subtilement de prendre possession d'un second sac qui malheureusement pour lui était solidement attaché à mon sac-oreiller. J’ai tout simplement décidé de sortir de mon duvet en beuglant d’un ton ferme et bestial des bruits qui ne voulaient évidemment rien dire. L’effet produit les ont chassés. Ils ont dû me prendre pour un malade mental mais qu’importe j’étais sain et sauf et rien ne m’avais été dérobé. Je garde sous le coude cette attitude... salvatrice ! ... que j'intitule ici : "Le rugissement du fou."
     Il s’agit là d’une anecdote qui méritait d’avoir sa place car elle me permet de ne pas oublier que tout n’est pas rose et sans risque lorsque l’on décide de « partir ». Assurer sa propre sécurité reste une priorité absolue et je me dois de ne jamais la sous estimer afin d’être suffisamment alerte, attentif et ainsi faire les bons choix.
 

     Voilà, je vais m’arrêter là. Je regrette de ne pas avoir pris davantage de notes au cours de ce voyage mais je n’avais pas non plus l’intention d'écrire un carnet de route et de le publier sur un site. Je me rattraperai au cours de mon futur projet... A suivre !