Sensations

Retour aux récits.

 

De nouveau quelques verres de vodka lentement sirotés.

L’imagination rassemble des images et soulève des sensations responsables d’émotions proches de cette joie, trop rare, dans laquelle les yeux s’emplissent de larmes. J’aime ce paradoxe. Là où les larmes sont habituellement réservées à la tristesse et au chagrin, ici, le plaisir franchit son paroxysme, envahit et submerge l’esprit. Ce dernier, regrettablement trop peu habitué à de telles joies, craquèle et explose comme s’il souffrait de ne pas suffisamment vivre de pareils instants.Et là où le rire retentit dans l’air et révèle les capacités de l’homme à éprouver des émotions, les larmes ont cette particularité de matérialiser l’une d’entre elles. Il s’agit de quelque chose de puissant, de beau et de propre à l’homme. D’ailleurs, si les larmes visaient à éclairer une beauté de l’esprit alors je ne peux être étonné que la nature les ait logées dans nos yeux. Il est tout aussi vrai qu’une fois observées sur un visage, ces larmes de joie – ou cette émotion – suscitent l’émoi pour la plupart d’entre nous. Je pense à une très belle image dans laquelle l’émotion peut chaudement vous rappeler l’être humain que nous sommes. C’est ainsi que les larmes accumulées créent ce doux frémissement dans ce singulier nouvel éclat et, bien au-delà d’illustrer la joie, ces larmes appellent en réalité à ce que nous nous rapprochions de cette personne. Il y a de la vie et du partage.

Me risquer à l’ordinaire me conduit à le bouder. Mais surtout, le système – ou la misère promise et quotidiennement médiatisée – gangrène ma vie. Je vois une société dans laquelle l’effort s’intensifiera toujours davantage et l’observer se délecter, avec dédain et mépris, d’un fruit dont je ne jouirai pas même de sa couleur me révolte. Elle m’incite à la fuir. J’y vois de l’exploitation et bien trop de capitulation devant la rareté d’un emploi ou la crainte de le perdre. De réjouissantes fausses promesses pour maintenir le contrôle d’une population manipulée par des lois à travers lesquelles il est crapuleux et scandaleux d’avoir à se battre pour faire valoir ses droits. Récemment j’apprenais à la radio que le Smic allait être augmenté de 12 euros nets par mois. Selon l’avis d’une personne interrogée à la radio, et bien campée dans la hiérarchie, cette hausse est juste vertigineuse. À croire que les personnes y ayant droit allaient très prochainement vivre de leurs rentes. Nous devrions nous en réjouir, dire merci et prétexter que c’est bien de trop. Pire encore, cette même personne appuyait son point de vue en ajoutant le coût, tout juste « pharaonique », que cela pouvait représenter pour le gouvernement. Quand j’y pense, cet homme est une crevure à qui je remplirai volontiers sa gamelle d’une copieuse merde tout en lui rappelant le nombre de calories qu’il m’a fallu dépenser pour la pousser. Tout cela me dépasse et m’écœure. Mais je reste avant tout révolté par un système huilé par la certitude de ne pas pouvoir le fuir tout en étant à la fois heureux. L’instinct de survie ne me semble pourtant pas plus éloigné à sa périphérie.

Or, à côté, je rêve de liberté. Voilà plusieurs semaines que j’affine une carte hautement détaillée des curiosités et merveilles du monde. Les distances s’allongent toujours davantage à l’ajout d’un nouveau point. Heureusement, les peurs logées au survol des montagnes et des déserts ne tardent jamais à fuir à l’approche d’un homme conquis de liberté. C’est ainsi que quelques soirs, comme celui-ci, j’aime m’élancer sur une feuille de papier, m’envoler et disparaître dans un point de mon imagination.

À ce sujet, parlons de l’imagination. Elle est toujours agréable à décrire car elle n’exige rien et n’obéit à aucune règle. Sa description s’envole sur la liberté de continuellement pouvoir y ajouter d’agréables nouvelles images. Comme s’il était possible de déplacer à mains nues un cours d’eau, se rendre sur le toit d’un immeuble, le déverser en direction du vide, sourire et y déclencher une cascade. Il y a un peu de magie, c’est vrai. Et l’imagination en est une jolie brèche. Les mots, eux, permettent de la partager. D’ailleurs, en raison de l’unique pouvoir qu’ils contiennent et du singulier effet qu’ils produisent une fois associés entre eux, les mots sont eux aussi magiques. Ils murmurent des idées, en suggèrent, réveillent des souvenirs, illustrent des pensées et des émotions. Bien sûr, aucune grande vérité n’est ici révélée. Pourtant, si je les emploie à l’imagination et bien que l’idée associée soit toujours imposée, j’aime que son illustration soit fatalement détenue par la liberté de chacun.

D’abord le froid. Omniprésent, il enveloppe mon visage et le cisaille davantage quand il associe ma marche à une attaque. Il m’agrippe également solidement les mains. Aussi, les refugier dans des gants ne m’apprendrait rien. J’ai donc pris l’habitude de les agiter afin de conserver au mieux leur motricité. Mais il s’invite également sous mes vêtements et hérisse les surfaces pileuses de ma peau. Patient et persévérant, sa compagnie est aussi silencieuse qu’assassine. Il vous saisit et ne vous quitte jamais et s’il venait à vous abandonner, c’est à la mort. Je ne peux non plus oublier ces lapses de temps consacrés à ces assauts au cours desquels je me sens viscéralement « harponné » comme s’il tentait d’immobiliser mon corps au sol et au temps. On lui donne une apparence bestiale. On parle d’ailleurs très souvent de sa morsure. Elle est réelle. Son unique morsure s’exerce sans nulle relâche. Ce monstre possède une gueule mais c’est de son souffle que nous avons le plus à craindre. La déferlante de vents expirés affute si bien ses crocs que se maintenir debout force au seul défi envisageable. J’ai si froid et la distance à parcourir me semble aussi approximative qu’interminable.
Mais le passé, la régularité et la progressivité dans un gel permanent ont révélé un mental fortifié d’une détermination dangereusement affutée. Je prends seulement maintenant conscience qu’entretenir sa résistance se confonds en une frappe aisément mortelle si son usage ne m’était pas exclusivement salvateur. Ma progression s’épaule également d’un précieux et redoutable allié. La fureur de vivre. Et si cet ennemi ne peut être terrassé, il peut néanmoins être vaincu. Rester en mouvement, comme devant toutes adversités, détermine mes chances de survie. Après, je ne suis jamais sur de rien, je doute et accepte l’échec mais il est une chose dont je ne peux douter, c’est de faire de mon mieux pour atteindre un objectif.
   
La suite plus tard.