Vapeurs de liberté

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Dans l’instant, je sens les possibilités. Je sens la liberté qui approche. Tout claquer, tout plaquer, c’est toujours possible. Citoyen du monde. Perdre mon identité et devenir ce souffle qui s’échappe et échappe aux yeux de la société. Cette nuit, je vagabonde dans ma tête plus rapidement sur cette Terre que me le permettra la réalité. Le monde m’engloutira. Je veux me perdre pour mieux l’explorer et le vivre.

J’abaisse alors les paupières et me projette au bout de la Terre.

La mémoire me rappelle aussi. Seul, écrasé sous la chaleur, j’avance sur ce vélo bon marché. La peau ruisselle sous le poids d’un soleil posté derrière l’épaule. Mon corps se durcit, se muscle et s’encrasse par un effort devenu quotidien.

La nuit tombée, en pleine nature, je m’isole en sécurité et me drape sous un ciel qui s’étoile à mille lieux et de mille éclats. Cet instant je le connais bien. Il m’invite à dénicher la plus petite étoile. Il y en a toujours autant et je me plais à me comparer à l’une d’entre d’elles. Comme elles, je me fonds dans un large espace tout aussi peuplé. Situé, pour certaines, à des années lumières, je brûle moi aussi mais de l’excitation des horizons qu’il me reste encore à franchir. L’esprit est élancé et devient ardent. Son incandescence est permanente, à l’épreuve de toute infortune.

Aux premières lueurs, je me mets en mouvement. Une fois les affaires rassemblées et vérifiées, j’adresse le même sourire à la route parcourue la veille qu’à celle qui m’attend aujourd’hui. Il est temps de partir et d’avancer. J’ignore tout de cette nouvelle journée. Je suis libre, je me fous de tout et de tout jugement même si l’inconnu à toutes ses chances de me surprendre, de m’émerveiller et de m’encourager.

Je sens l’humanité les poings liés. Je ne demande qu’à m’évader et me réchauffer auprès d’hommes et de femmes aux différentes façons de penser. Me cultiver, sourire et pleurer aux côtés de ces mêmes hommes à travers lesquels mes sens et ma mémoire s’imprégneront. Ils m’accompagneront et m’épauleront dans l’épuisement, la galère et dans cette impertinente solitude.

Je vais me fatiguer, c’est une certitude. Mon corps s’amaigrira peut être mais je ne suis pas inquiet. Si cela devenait vraiment trop dur, je rentrerai. Ayant pour luxe le temps, je n’ai aucune raison de m’infliger un rythme que je ne pourrai maintenir.

Plusieurs choses changeront. A commencer par mon accoutrement. Il se confond à celui de la Terre, il se recouvre de poussière. En réalité, je sourie devant cette image car elle se lie aux raisons pour lesquelles je suis poussé à fuir cette société et à disparaître. Aussi, je me rappelle de mon mémoire, partiellement porté sur la tenue infirmière, et dans lequel je consacre un paragraphe à expliquer ce que la « tenue » représente à mes yeux. J’explique qu’il y a toujours eu cette tenue correcte, souvent exigée, qui répond à des critères esthétiques dictés par une société dans laquelle le beau est une valeur ajoutée digne de choix et d’intérêt. La tenue devient sociale. Elle est ce vêtement qui ne se tâche ni se raccommode ; s’y accommoder revêt de la cours des Miracles. Ainsi, accepter d’être salement vêtu serait pour moi aujourd’hui vécu comme une marque d’irrévérence fièrement portée à l’encontre d’une société qui se veut sociale, mais qui juste avant se veut être un tissu. A travers la matière, ces sociétés matérialistes subliment ou déprécient injustement la valeur d’un homme. Pour conclure, je me plairai à tester la manière avec laquelle l’inconnu, ou diverses populations, surpasseront mon apparence.

Désormais, laissons une chance aux mots d’exprimer l’impression murmurée par l’immersion de quelques paysages du monde projetées et imaginées de manière si instantané et si volatile que nous en oublierions les sensations qu’elles porteraient à l’esprit.

Je traverse une nature à la fois paisible et hostile. Un désert, un sol sur lequel aucune route ne vous garantie la possibilité de rejoindre un jour la civilisation. Je choisis, cette nuit, l’exemple du salar d'Uyuni, situé en Bolivie ; le plus grand désert de sel du monde. Là-bas, il me paraît difficile de s’y sentir plus seul au monde. Je choisis donc une photo publiée sur internet puis j’en tapisse toutes les surfaces de mon imagination afin d’en être pleinement entouré. Après un tour sur moi-même et quelques soit la ligne d’horizon sur laquelle mon regard se pose, le paysage est identique mais il est surtout infini. Cette impression d’infini se lie finalement à ces curieux rêves dans lesquels je me perds dans l’espace. Malgré les milliers d’étoiles environnantes, l’obscurité dans laquelle je flotte y est si pure, qu’à ma vue, cet espace se dispense de toute profondeur. Le vide absolu. Le néant. La sensation est difficile à restituer mais l’effet est criant de vérité et véritablement angoissant. ; ceci dit j’adore. Le rêve se dote d’une capacité à restituer avec un incroyable réalisme des sensations parfois inenvisageables pour l’homme. Nous avons tous rêver de voler je pense ou alors je vous le souhaite. Je me souviens d’ailleurs avoir publié et décrit l’un de mes envols. Trop jouissif. Je m’égare légèrement et me replonge donc dans mon désert.

Je suis abattu mais en admiration face au caractère hybride de ce paysage. Une terre lunaire. Pourtant, j’ignore qui de la terre ou de la lune s’est imposé le premier mais quoi qu’il en soit la désolation semble s’y être exilée. Le relief évoque un vide absolu et intemporel si bien que le temps semble, lui aussi, s’y être échoué. Ici, dans le néant, le déplacement du vent est comme le seul signe de « vie ». Le ciel est d’un bleu pastel et se reflète sur un sol blanc nacré. C’est magnifique mais il me reste tant à parcourir et je suis fatigué. J’use donc de mon imagination pour me catapulter en avant sur ces terres mais, bien que poussée à des centaines de kilomètres, elle n’heurte aucune frontière. Elle se perd... tout comme je le suis.

J’aimerai rédiger avec précision le caractère d’une sensation ou d’une émotion mais les mots, même additionnés, manquent cruellement de profondeur. Ils n’épouseront jamais d’assez près la réalité. Nous sommes pourtant tous en mesure de nous imaginer dans ce désert à partir d’une photo. Il y a d’abord cette pleine solitude qui s’entremêle à ce plein de vide. L’addition devrait conduire à un sentiment d’extrême liberté mais la singularité du phénomène peut être angoissante. Préparé, j’imagine euphoriser cette angoisse. Je cours sur cette terre et même si mon avancée est réelle elle est invisible à l’horizon. Dans ces conditions, rien ne vous arrête ni ne vous rattrape. Vous traversez une nature inquiétante et menaçante mais vous la traversez avec fougue et sourire car vous savez que vous en survivrez.

Je volerai au vent sa liberté.

Je m’arrête ici pour cette nuit.